Point de départ
La gelure est une lésion localisée causée par l'action directe du froid au cours d'une exposition plus ou moins longue à une température inférieure à 0°C. Les gelures sont habituellement classées en trois (ou quatre) stades de gravité suivant l'aspect clinique et l'évolution.
Le premier degré est caractérisé par une pâleur ou une cyanose(couleur bleue) transitoire suivie d'un érythème lors du réchauffement, une sensibilité émoussée et une guérison en quelques jours. Le deuxième degré superficiel est marqué par l'apparition de phlyctènes claires en une douzaine d'heures ; le devenir reste le même ; les troubles sensitifs peuvent persister plus longtemps. Le deuxième degré profond est caractérisé par une anesthésie complète, des phlyctènes séro-hématiques (avec du sang ) et un oedème important en amont. Lorsque l'évolution de ces gelures profondes conduit à la nécrose, puis à l'amputation, on parle de 3eme degré.
Plusieurs facteurs favorisent l'apparition des gelures : la température extérieure, le vent qui augmente la perte convective, l'humidité (conduction), la gêne à la circulation (vêtements trop serrés, fractures déplacées), l'état d'hydratation de la victime, l'hypoxie, la polyglobulie (le nombre de globules rouges augmentent) d'altitude et la qualité de l'équipement. Enfin, les facteurs de risque sont classiquement les acrosyndromes, mais on peut également retenir les connectivites, le tabagisme et surtout les gelures antérieures.
Le diagnostic clinique est évident, c'est généralement le patient qui le fait, très rapidement pour les doigts, plus tardivement pour les orteils.
Il y a, par exemple, sur Chamonix, environ 70 cas par an. Dans les trois-quart des cas, il s'agit de gelures superficielles. Pour les gelures profondes, toute l'action thérapeutique s'attache à éviter qu'elles n'aboutissent à des amputations (8% des cas). Dans notre série, les gelures des pieds représentent 57% des cas (avec atteinte préférentielle du gros orteil) et 46% des patients présentent des gelures des mains (avec respect habituel du pouce). Enfin les gelures de la face ne sont pas rares (17%), en particulier le nez ou les oreilles.
Physiopathologie
Phase primaire : refroidissement et action du gel
L'organisme soumis au froid réagit par une vasoconstriction périphérique. Cette vasoconstriction entraîne une diminution du gradient de perfusion capillaire et l'apparition de phénomènes locaux de stagnation, d'hyperviscosité, d'hypoxie et d'acidose.
Le gel touche d'abord l'espace extracellulaire. La formation de cristaux de glace y provoque un accroissement de l'osmolarité, ce qui conduit à une déshydratation intracellulaire par diffusion passive d'eau à travers la membrane. La cause de la mort cellulaire varie en fonction de la vitesse d'installation des lésions. Souvent consécutive à l'agression mécanique des cristaux extracellulaires, sa cause peut également être intracellulaire par l'aboutissement du phénomène de déshydratation .
Phase secondaire : réchauffement et nécrose progressive
Lors du réchauffement, la vasoconstriction artériolaire laisse la place à une hyperhémie réactionnelle qui facilite le passage de liquides vers l'interstitium, ce qui provoque une augmentation de la viscosité sanguine suivi d'un ralentissement du flux microcirculatoire. La desquamation des cellules endothéliales et l'altération de la membrane basale génèrent une activation et une adhésion des leucocytes. L'activation de la voie de l'acide arachidonique dans les plaquettes entraîne la libération de thromboxane A2. Ce syndrome d'ischémie-reperfusion aboutit en quelques heures à un arrêt complet de la microcirculation.
Phase tardive : les lésions définitives.
C'est la phase la plus riche en manifestations cliniques dues à la nécrose vasculaire progressive ( oedème, phlyctènes, nécrose), elle débute 48 heures après le réchauffement. Les lésions sont alors irréversibles et si le traitement n'est débuté qu'à ce stade, les résultats sont décevants.
Pronostic
Le pronostic précoce est difficile à établir cliniquement. Trois à quatre jours sont habituellement nécessaires pour savoir s'il s'agit d'une gelure superficielle ou profonde et, dans ce cas, il faut patienter jusqu'à l'apparition du sillon d'élimination, plus de 30 jours après, pour situer le niveau d'amputation. Cette attente du verdict est intolérable pour le patient ; heureusement la scintigraphie osseuse au Technétium 99 permet de raccourcir ce délai. L'examen ne doit pas être trop précoce car il peut être faussement rassurant si les lésions de nécrose progressive n'ont pas eu le temps de s'installer. Dans tous les cas de notre série de 80 cas où la scintigraphie a montré une fixation normale du traceur au temps tardif (osseux), il n'y a pas eu d'amputation. Au contraire, si le cliché tardif montrait une hypofixation franche, le patient a dû être amputé.
Approches thérapeutiques
- La thérapeutique repose sur la physiopathologie : il faut réchauffer, lutter contre le vasospasme, l'hyperviscosité, la thrombose et prévenir l'inflammation et l'infection.
- Le traitement le plus simple et le plus efficace est le réchauffement immédiat dans de l'eau à 38° additionnée d'un antiseptique doux. Ce traitement doit pouvoir être effectué en refuge. Par la suite, l'oedème qui s'installe empêche généralement la victime de se rechausser et le regel doit être évité à tout prix.
- Pour les gelures du Ier degré et IIeme degré superficiel, nous associons l'aspirine (250 mg/j), le buflomédil (Fonzylane®) dont la posologie augmente en fonction de la gravité (jusqu'à 800 mg/j) et un anti-inflammatoire.
- Pour les cas les plus graves, on utilise l'iloprost (Ilomédine®) (jusqu'à 50 µg/j) pendant 5 à 7 jours et parfois le rTPA (30 à 50 mg) à l'admission. Le relais est pris par une héparine de bas poids moléculaire. L'aspirine est toujours indiqué. Un bon volume circulatoire est essentiel, ainsi que le respect des règles d'asepsie. Les parties gelées sont surélevées tant que persiste l'oedème (une semaine). Les bains à remous sont répétés deux fois par jour. Ils lavent les plaies et favorisent un débridement doux. Dès que l'oedème a disparu, le patient doit faire des exercices actifs pour éviter les rétractions tendineuses. On ne touche pas aux phlyctènes sauf s'ils sont constrictifs ou en cas d'infection.
- Une première scintigraphie est effectuée dans les 48 heures suivie éventuellement d'une deuxième 5 à 7 jours plus tard pour apprécier l'efficacité du traitement.
- Après la première semaine intervient le temps chirurgical, avec l'excision des phlyctènes et nécroses superficielles. Un bon état nutritif et psychologique doit être maintenu.
- Le temps des amputations est très tardif afin de laisser le temps aux nécroses sèches de s'installer pour respecter au mieux la délimitation naturelle que nous offre l'organisme.
Séquelles
On constate régulièrement des troubles sensitifs qui peuvent persister longtemps (douleurs, hypo ou hyperesthésie), une hyperhydrose, une ankylose des doigts en flexion, des troubles trophiques de la peau et des phanères. A plus long terme (plusieurs années), apparaissent de l'ostéoporose et de l'arthrose précoce par atteinte du cartilage. Chez les patients amputés, la chirurgie réparatrice et reconstructive permet souvent une bonne récupération fonctionnelle.
Conclusion
La prévention reste essentielle. Le réchauffement par bain d'eau chaude est une urgence thérapeutique. C'est ensuite qu'interviennent les inhibiteurs de la cascade de l'acide arachidonique, les vasodilatateurs de la microcirculation et les antithrombotiques. L'évolution est toujours longue, les amputations sont rares, mais les séquelles fonctionnelles et trophiques peuvent être invalidantes.