EXERCICE DE LA MEDECINE SUR LE NET : ANALYSE TECHNIQUE PAR RAPPORT A L'ACTE MEDICAL
Il est établi, classiquement, qu'un acte médical complet doit comporter une anamnèse, un examen clinique et des examens complémentaires pour aboutir à une prescription ou à un acte technique (intervention). Même quand il s'agit de l'exercice de la médecine spécialisée, le spécialiste exécutant un acte technique (par exemple : le radiologue) se doit d'entrer en contact avec son patient pour un interrogatoire succinct confirmant les données du confrère lui ayant adressé le patient, et un examen clinique rapide confirmant les lésions qu'il devra investiguer. Si l'informatique médicale favorise la communication entre praticiens, voire, favorise la qualité de la médecine quand il s'agit de télémédecine ou d'apport d'expertise d'un confrère auprès d'un autre, il n'en est pas de même de facto quand il s'agit de communiquer avec des patients. Parler de médecine avec un patient sur le Net, c'est déjà exercer la médecine. L'échange de données médicales, même de façon anonyme, n'est jamais anodin. Pourtant, on peut voir certains patients se livrer, dans des "chat-rooms" ou sur des sites web médicaux, à un véritable déballage de leur histoire clinique.
Il faut différencier plusieurs stades de contact entre un médecin et son patient sur le Net.
Le plus impersonnel, et le plus général, concerne une information donnée comme elle se ferait dans une revue de vulgarisation pour le grand public. Une information de qualité sur le web peut certainement être un apport complémentaire de ce qu'aura fait un médecin au cours d'une consultation précédente, et ceci d'autant plus que la pathologie est grave et les incidences individuelles plus importantes.
Au-delà de cette information, plus détaillée, certains conseils peuvent être donnés, soit qu'il s'agisse de conseils généraux destinés à éclairer le patient sur un sujet donné, soit qu'il s'agisse de conseils personnalisés après que le patient a posé sa question ou adressé un courrier. Le développement de ces conseils est exactement à la frontière entre l'information et la véritable consultation en ligne.
Le concept de conseil médical sur le Net s'est développé par rapport à la véritable consultation chez un médecin à partir de certains avantages qu'il offrait :
- possibilité d'anonymat pour le patient ;
- possibilité de trouver à la fois une information exhaustive sur un sujet et une information plus personnelle ;
plus grande liberté d'expression ;
- désintéressement plus important du praticien par rapport à une personne plus éloignée à laquelle il est moins lié ;
- possibilité de passer plus de temps sur l'anamnèse.
La base de ces conseils repose en général, sur un questionnaire en ligne comportant un interrogatoire, le résultat d'éventuels examens cliniques précédemment faits par un confrère, le résultat d'examens complémentaires précédemment effectués. Là encore, par rapport à la consultation d'un seul médecin, le patient pourra trouver sur le Net d'autres renseignements intéressant sa pathologie, surtout si celle-ci est rare et comporte une incertitude dans l'attitude diagnostique ou thérapeutique.
Faisant suite à ce conseil, certains médecins vont se lancer dans des avis médicaux. Quand bien même ces avis médicaux seraient impersonnels et anonymes, ils impliquent une prise de responsabilité de la part du médecin qui les donne. Si la société gérant le site de santé ne donne pas l'identité du médecin, c'est elle qui peut être mise en cause. Mais cela semble illogique dans la mesure où l'exercice de la médecine en France doit se faire selon des critères de responsabilité personnelle. Au-delà de l'avis, nous entrons dans une véritable consultation sur le Net, à ce jour difficilement admissible en France, et risquant de tomber sous le coup de condamnations pour médecine à distance, comme nous le verrons dans le chapitre concernant le domaine juridique. Quant à l'envoi de prescriptions, qu'il s'agisse de prescriptions d'actes ou de thérapeutiques, cela risque effectivement de paraître discutable dans la mesure où aucun contact direct n'est intervenu entre le médecin et son patient. Sur le plan des prescriptions pharmaceutiques, il faut différencier le transit sur "la Toile" d'une ordonnance faite par un médecin en bonne et due forme après un examen complet à son cabinet ou "ordonnance électronique", d'une prescription qui suivrait un acte sans contact physique direct.
On voit ainsi se dessiner progressivement le processus "information conseil avis diagnostic traitement", de l'avis le plus imprécis à celui le plus personnalisé. Il est indéniable que la marge, entre simple conseil, avis personnalisé et diagnostic en ligne est étroite. Tout est une question d'appréciation de la qualité du service rendu et, par conséquent, de la qualité qu'il présuppose.
Il faut en rester au principe que tout acte médical nécessite un diagnostic établi par le médecin, sur la base d'un interrogatoire du patient mais aussi, surtout, d'un examen clinique. Ce dernier est, encore non concevable à distance, mis à part le recours entre professionnels de la télémédecine. Chaque praticien sait combien il est important de savoir capter le regard d'un patient, la moiteur de ses mains, le tremblement de ses extrémités, avant même d'avoir posé ses mains sur l'abdomen ou son stéthoscope sur son thorax. La présence physique du patient au côté du médecin est d'autant plus importante que la question qui est posée au médecin est générale. Si l'on peut admettre qu'un spécialiste réponde par le Net sur une image d'IRM, il est impossible qu'il se prononce sur une douleur abdominale sans avoir lui-même palpé le ventre du patient.
Il semble donc qu'en dehors de renseignements généraux ou d'avis scientifiques précis sur des examens complémentaires, il ne paraît pas possible, sur le Net, d'obtenir l'équivalent d'une consultation personnalisée satisfaisante, du moins dans la mesure des moyens disponibles à ce jour. Certains sites médicaux américains proposent aux patients une sorte de "capteur" capable de prendre le pouls et de transférer un électrocardiogramme, mais n'allant pas plus loin, pour l'instant, dans les investigations cliniques. Un cas particulier est à noter : celui où toute l'observation (interrogatoire, clinique, examens complémentaires) est déjà élaborée par un médecin et où le patient demande confirmation ou information à un second praticien. Même dans ce cas, l'examen clinique est nécessaire à l'élaboration d'un diagnostic et des traitements satisfaisants, et le second praticien consulté peut découvrir, au contact direct du patient, des signes passés inaperçus pour le premier.
Il est intéressant, à ce niveau, de rappeler le rapport Appels téléphoniques de patients et déontologie médicale, adopté par le Conseil national en juillet 1998, pour faire un parallèle entre les possibilités offertes par le Net et le téléphone. Les conseils y figurant restent complètement valables pour les avis ou conseils donnés sur le Net : s'assurer de l'identité du correspondant, identifier la nature exacte de la demande, déterminer avec suffisamment de probabilité si l'échange sur le Net suffit ou non, ne pas hésiter à répéter le contact, surtout ne pas hésiter à prolonger par un contact direct et une rencontre, surtout en cas d'urgence.
Nous renvoyons, également, nos lecteurs au rapport sur la télémédecine publié par le Conseil national de l'Ordre à l'occasion d'un colloque, il y a quelques années. Les conseils ou avis concernant la télémédecine, en particulier dans un domaine de second avis d'expertise, restent parfaitement valables quand la télémédecine se sert du Net.