Manque et haine
« L’objet naît dans la haine », écrit Freud. D’abord, il est important que vous sachiez que, pour les psychanalystes, l’« objet » est une personne. Il s’agit d’une façon peu élégante mais claire de dire qu’au début, l’humain ne perçoit pas la différence entre vivant et non-vivant. En effet, pour un bébé, rien n’est évident... Une sensation n’a pas de sens : elle est agréable ou désagréable. Donc, nous dit Freud, le bébé perçoit l’existence d’un autre (maman, papa, nounou, etc.) dans la haine. Pourquoi « dans la haine » ? Eh bien, comme l’exprime clairement Arthur, parce que l’autre lui manque et ne satisfait pas ses désirs comme il le veut, quand il le veut, où il le veut et dès qu’il le veut !
Séparation et frustration
Le corps d’un bébé, doté de peu d’autonomie, est fragile et dépend de son environnement. Il est parcouru d’excitations corporelles, sans avoir la capacité de se les représenter ni de les mettre en oeuvre (faim, soif, chaud...). La maman, elle, a la capacité d’apporter le lait nourricier : elle est alors le « bon objet », qui permet au bébé d’être repu, heureux et aimant. D’ailleurs, au début de toute existence humaine, maman et bébé sont confondus, ils forment un même corps, ils sont indifférenciés. Quand la maman dîne avec le papa ou qu’elle est au téléphone avec sa meilleure amie et laisse pleurer un peu trop longtemps son bébé, celui-ci ressent la douleur de l’attente, de la frustration, de la haine. Là, la mère se différencie, commence à exister en tant qu’objet séparé. Elle n’est pas là, elle manque, elle devient le « mauvais objet » qui provoque de la frustration.
Frustration, haine et violence
Vous comprenez le lien entre la séparation, la frustration et la violence ? J’entends encore Arthur me dire combien il déteste sa copine quand il a besoin d’elle et qu’elle n’est pas là ! Elle devient, sans transition, le « mauvais objet », là où elle était sans conteste le « bon objet ». (Ces éclaircissements donneraient-ils un sens à certaines de vos colères ? Peut-être, non ?). L’autre, même s’il vous aime très fort, n’est jamais exactement là où vous aimeriez qu’il soit, dès que vous en avez envie. Vous l’avez déjà expérimenté sans nécessairement prendre conscience de votre souffrance, de vos frustrations et de la haine que vous ressentez alors. Non, « haine » n’est pas un mot trop fort, nous sommes capables de haine, tous autant que nous sommes ! Et il est fondamental d’en avoir conscience pour ne pas y être engloutis. « Donc, on les hait nécessairement ? » m’a demandé Arthur. Oui, je crois que ces moments de haine sont inévitables, qu’ils soient conscients ou non.
Prendre conscience pour ne pas succomber
Le bébé intérieur, qui existe en chacun de nous, réclame souvent son dû et parfois bruyamment ! Il est possible de l’aider, le chemin est toujours le même : prendre conscience de ses sentiments et tenter de s’y confronter et de les contenir. Tant qu’Arthur n’a pas conscience de la haine qu’il ressent, il s’énerve (tôt ou tard)
contre sa copine (pour une broutille qui lui sert de prétexte) ou bien retourne cette violence contre lui, en imaginant qu’il est trop « nul » pour être aimé. Une fois qu’il en a pris conscience, il peut lui demander d’être plus attentive à lui. Vous voyez combien c’est lié à la fragilité de vos personnages intérieurs ? Les frustrations sont plus vives et la violence potentielle d’autant plus forte que vous avez besoin de la présence réelle des autres autour de vous.